mercredi 28 mars 2018

Manif bazard

Je ne suis pas content de cette journée de manif du 27 mars. Franchement, le dernier truc dont j'ai envie est d'adopter un un ton moraliste, mais face aux événements d'hier je ressors l'évangile de bonne conduite parce que y a deux trois truc que je n'ai pas digérer, vu la hargne avec laquelle d'aucuns m'avaient convaincu de leurs rêves de fraternité de respect et tout le tralala. Bien sûr je me rappelle que personne n'est surhomme, que même bien intentionné au départ, nos failles, ça nous fait parfois déconner, surtout dans un truc aussi passionnant que les luttes sociales. Je ne suis pas content et en même temps je n'en veux à personne. Il en reste que je me suis sentis dénigré par l’événement que je vais décrire. Je tiens aussi à informer un peu sur les paradoxes des causes qui nous rassemble. A bon entendeur.

----Une manif "narmole"----

Après une AG copieuse (6h... j'me plain pas, c'est bien le temps qu'il faut pour nourrir une utopie) et un effort de démocratie convaincant où tous eurent l'occasion d'exprimer infos, rumeurs, émotions, convictions, joie, peur... et de voter directement les décisions - autant le dire, une démocratie plus vraisemblable que l'"officielle", l'illégitime- nous sommes donc partie manifester, zigzaguant dans artères Montpelléraine, direction l'hôtel de police, symbole trahi et violemment bafoué de notre sécurité / liberté. Bloquer les rues, entre autre pour adresser notre soutiens aux tyrannisé de jeudi soir, avait quelque chose d'euphorisant, comme si le cancer que j'ai dans l'âme se résorbait petit à petit. On regrettait l'absence de tambours. Qu'à cela ne tienne, parfois on dansait. Pas longtemps, c'était crevant de danser sur des slogans et puis tout le monde clopait. "Travaille consomme pis ferme ta gueule!" J'étais plutôt d'accord avec celui là, bon résumé du diktat du travail et notre aliènement à la consommation. "La rue est à nous" Ouai, c'est vrai que la rue, c'est l'espace public suprême en ville. C'est le liant entre moi et le voisin. Si la rue elle n'est plus à nous, nos rapports mutuels ne nous appartiennent plus non plus. Alors ok, la rue elle est à nous baby. Puis franchement, ça me fait vibrer de le croire.

----"Les gens intelligent ne juge pas" Krishnamurti----

"Tout le monde déteste les fashistes" bon là, je commence à tiquer. Je commence à gueuler "tout le monde déteste le fascisME!" J'insiste bien sur le "SMEUH", on dirait un veau pas content. Puis je cris que je déteste pas les gens, même s'il sont fascistes, même s'ils m'ont déjà collé un pain une fois. Je les trouve cons, à la limite. Et encore, je sais pas à quel point. Faudrait que je les isole à tour de rôle et que je leur tire les vers pour comprendre les motivations de chacun. En fait pour aller plus loin, si tu captes que de A jusqu'à Z tout se conditionne, tout est réaction en chaîne, interdépendant, logique (la profonde, celle qui nous échappe de logique), tu n'arrives plus à juger. Tu t'opposes aux comportements violents, parce que c'est ce qu'il faut faire, mais juger les gens, tu le fais pas, ou alors juste parce que c'est rock n roll, ça te donne un petit air méprisant critique que certain trouve sexy, mais sincèrement, t'es pas beaucoup moins con que l'autre là. Moi j'ai pas le temps de tirer le portrait psychologique de tous les blessé de ce système. Y'en a qui se retrouvent militants, y en a qui s'abritent derrière un écusson, d'autres derrière le fric, la politique, certains finissent en zonz ou en asiles et quelques uns deviennent fashos. La violence que chacun à reçu, ça se compare pas, c'est des mondes en soi, c'est complexe, pas une science exact. En plus de ça, montrer aux gens que vous ne les catégorisez pas par rapport à leur conneries, ça a plusieurs avantages: premièrement, vous ne vous rendez pas malade (les préjugés, c'est foutrement maladif. Au mieux, ça ne bouffe que l'intelligence) Ensuite, vous faites passer le message à l'autre: Je m'oppose à une ou plusieurs de tes attitudes "mais j'envisage que tu puisses être autre chose" Vous lui laissez moins de place pour se braquer, plus de place pour se transformer, ou simplement réfléchir. L'égo est moins titillé. La mathématique peut paraître débile mais elle m'a fait calmer des gars vraiment agressifs. Attaquer la partie la plus susceptible de l'homme, son égo, c'est somme toute mettre un beau bordel dans nos rapports. Perso, mon désir n'est pas simplement d'empêcher aux fashistes d'agir, mais au fashisme d'avoir des adhérents toujours plus violents, profondément embrigader, sans espoir d'un quelconque biais de réconciliation.

---Nique la prison---

"Pétel en prison" là je trésaille un peu et en même temps j'ai un doute . Je me dis, "prison" c'est leur manière de dire "justice"... ça peut se comprendre. Mais ensuite je déraille: "BA POURQUOI ILS NE DISENT PAS JUSTICE!" "Prison" c'est juste une conséquence de ce qu'on nous vend comme la justice. Pas sûr que la conséquence et le produit soit très légitime... Il y aurait beaucoup à dire à propos de la gestions de nos établissements pénitenciers (privatisation des services, insalubrité, corruption, maltraitances...) souvent la suite d'une justice castratrice dont la forme même était normalement un antidote à toute forme de rébellion. Ba non. Trop de failles vous dis je. Incorrigible. Bref, je ne me bas pas contre une forme d'emprisonnement, la réduction d'une chose libre à l'état de captive, pour en promouvoir une autre. La justice, ça se débat comme 6h d'AG, car c'est encore une utopie ici bas.

----All cops are beautifool?----

Enfin nous arrivons devant les quartiers de la haute discipline. En tenue de CRS, une bonne trentaine, calmement postée à l'entrée. Le groupe de manifestant garde une bonne distance, disons 20 mètres. Puis se joue une joute verbale à sens unique. La police ne bronche pas. Je ne suis pas d'accord avec certains slogans stigmatisant "tout le monde déteste la police" ("Police Pétel Fashiste complices" ne me gêne pas vu la conjoncture  des événements récents") Au bout d'un moment je me dis que c'est absurde, eux juste là, avec l'impossibilité de discuter, à cause de la distance et de l'ambiance sonore. Alors quand une nana m'exprime qu'elle trouve ça craignos de s'avancer d'avantage, je ressens dans un flash un truc comme : "c'est certainement pas pour avoir peur que je suis venu ici, je ne suis pas mal intentionné, je ne suis pas con je ne vais pas leur foncer dedans, ils ne m'ont pas l'air d'avoir prévu de nous attaquer, ils tiennent simplement l'entrée, ils font actes de présence, l'ambiance n'est pas électrique, la place est suffisamment dégagé (sécurité visuelle), il n'y a pas de casseur" Je veux m'approcher pour parler avec l'humain derrière le blason. Je sais que ça peut paraître risible, mais je refuse de me perdre dans le constat morose que la police est irrattrapable. Pourquoi venir ici si c'est le cas? Le blason, c'est comme le théâtre: du virtuel, même si le virtuel peut faire mal. Je sors tout ce que j'ai de mes poches et le dépose au sol. J'enlève mon bonnet. Pendant deux secondes, j'hésite à me mettre en slip. Je sors l'intérieur de mes poches, montre mes paumes de mains et avance. J'arrive à 10 mètres d'eux, pas un seul n'a l'air de me prendre pour une menace, et voilà qu'un groupe de militant alarmiste me saute dessus et me force à reculer. Même pas le temps de m'expliquer qu'ils me tiennent "Qu'est ce que tu fous! Tu vas tout faire foirer!". Pour eux je vais déclencher la furie des flics. En faisant quoi au juste? Il ne me laisse pas vraiment l'opportunité de répondre. Je suis moins heurté de me faire alpaguer que par leur putain de stress contagieux, leurs injonctions, leurs peurs, alors que j'étais certain de pouvoir rester calmement à 10 mètres des CRS sans qu'ils aient d'avantage de raison d'intervenir. Rien ne démontrait qu'ils déchargeraient. Nous ne foutions pas le bordel, nous bloquions à peine le carrefour routier derrière nous, et surtout, il y avait une bonne visibilité. Je trouvais trop con qu'on se confronte comme deux grands murs sans chercher à se considérer en dehors des accusations habituelles. J'aurais essayé avant qu'on ne m'abreuvent de conseils et réprimandes paternalistes tout en m’empêchant de "les mettre en dangers". Quels danger? N'y avait il pas un risque dès lors que nous avons commencé à manifesté? Je note le même comportement oppressif que chez "l'adversaire", usant des mêmes arguments. S'il y avait un danger, je n'en étais pas un facteur direct, pas plus qu'eux avec leurs stress épidémique. Je n'empêchais personne de fuir si ça dérapait. Malgré nos graves divergences et leur position intimidante, je voulais regarder les CRS dans les yeux, sans haine, ne serais ce qu'à travers une question sans réponse. Je n'aurais pas insisté, j'étais pas imbécile, pas naïf, mais il me semblait que le geste était important, qu'un peu de crédulité pacifique avait déjà prouvé son efficience dans d'autres situations. Je n'ai pas eu l'occasion de l'exprimer, car on trouve toujours des raisons d’empêcher les autres de sortir du rang. Au final, nous sommes partis pour aider un squatt à ne pas être délogé, et personne ne voulait qu'on reste à l'extérieur du cortège. Plus libres de nos mouvements, même pacifiques, plus libres de prendre nos propres risques sans subir la peur des autres. Le risque individuel n'est t il pas toujours un risque collectif? La vie est un risque, mais l'austérité est partout.

----Don't forget make some trouble----

Au final, je suis satisfait de cette expérience car je comprends que le phénomène de peur est le frein à nos révolutions intérieures, là où nos rapports prennent leurs racines. Cette légitimité qu'on donne à sa propre peur, parfois se muant en mépris, c'est ce qui enclave notre appréciation d'autrui. Je prends aussi note du commentaires de mes camarades ce soir là "ce n'est pas le bon moment". Ils avaient aussi raisons. Il y a des moments plus propices pour parler à un policier. Mais tant que nous ne leur donnerons pas de considérations, il existera du mépris, il existera du clivage. Il y aura toujours des flics. Les flics ou les fashos ne sont pas le problème. Le système qui les éduque et les soumet l'est. Nos rapports font ce systèmes. Système de pensée, système d'oppressions, système de jugement, système de PEUR. Au delà de toutes les belles choses que j'ai aussi vu aujourd'hui, des qualités qui ressortaient durant nos débats, nos échanges, c'est aussi durant ces moments difficiles qu'il est nécessaire de faire preuve d'intelligence et de cœur, quitte à prendre un revers de la manche, je ne vois pas en quoi on régresserait d'avantage.

"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots." Martin Luther King