mardi 23 juillet 2019

Les nuques courbées

Une nouvelle race d'humain est née. Les nuques courbées. Le smartphone est leur religion, leur passion. Accessoirement un téléphone portable, le smartphone est surtout le meilleur rempart contre la sensation de se sentir un peu con. Dommage... seule cette dernière était capable d'ouvrir les douces voies de l'abandon et de la contemplation. Dans le tram, il m'est souvent arrivé de remarquer que tous les humains d'une rame avaient un smartphone en main. Qu'ils furent littéralement plongés dans leur surface lumineuse ou simplement qu'ils la gardèrent à portée dans l'attente d'une dégivrante notification, le smartphone opérait toujours son petit jeu de charme. Lui et l'utilisateur semblent soudés l'un à l'autre, dés lors, l'abandonner au fond d'une poche devient sacrément difficile, pour ne pas dire que le geste requerrait un processus psychologique laborieux. Quand je remarque quelqu'un n'en ayant pas dans les mains, je compte les minutes avant qu'il ne le sorte. Les recordmen réussissant à ne pas le toucher durant tout un trajet sont franchement rares. La plupart du temps, la mystérieuse façade lumineuse appel ses fidèles à de multiples et inutiles vérifications. Un objet si plein de données est forcément vivant et s'il ne manifeste soudainement aucun signe d'alerte, chacun se doit de le sortir toutes les deux minutes pour sonder quel genre de fin du monde menace leur sainte vie cyber-connectée. On dirait des gosses devant un plateau du docteur maboul, et les multiples applications du smartphone sont ses entrailles qu'ils faut sonder inlassablement à la recherche du moindre mouvement, de la moindre oscillation sociale, car la plupart des doses prescrites par l'outil sont de l'ordre d'un réconfort identitaire via leur intégration à l'objet social. Peu satisfait de n'avoir constamment des manifestations de vie de l'engin, chacun peut le ranger et le ressortir au moindre risque d’interaction avec le monde qui l'entoure: quelqu'un vous regarde droit dans les yeux? Le smartphone constitue votre meilleure retraite. Quelqu'un vous sourit? Compulsivement, sortez votre smartphone puis écumez les paramètres. Quelqu'un vous demande son chemin? Bafouillez lui une réponse puis fuyez la soudaine émotion: l'écran vide de votre tablette est la seule chance de survie de votre amour propre, car là seulement, votre image semble sous votre contrôle.

Notre vie sociale, dont le smartphone n'est qu'une cristallisation, constitue un véritable paradoxe, prônant à la fois l'intime et l'impersonnel, l'original et le classique, une métaphore à propos du conformisme, suggérant à faire démonstration de nous tout en nous désignant les longues frontières de l'acceptable et du honteux. Ici se dessine les remparts invisibles du grand conditionnement social. Vous vous confondez avec cette image. La plus lisse possible sera le mieux. Et si, par le plus grand des hasards, vous devez faire du grabuge, vous espérez toujours qu'un quelconque média justifiera votre acte pour vous, car votre liberté sera toujours une illusion, toujours liée à cette validation provenant de l'extérieur. Aussi vrai que l'idée de Dieu nourrit parfaitement ce besoin d'une ascendance extérieure sur soit, nous brûlons de désir d'exister à travers le regard de autres. Ce peut être notre plus grande force comme notre plus grande vulnérabilité, m'est avis. Le sacré n'a fait que se déplacer. S'il vivote encore dans ces épais bouquins qui inspire les religions, dorénavant il exalte de petits mais bien plus puissants appareils qu'accompagne une armada de nouvelles règles, grasses et bien imposantes. Moi, je suis un hérétique. Je ne nie pas l'importance que les autres ont pour moi: ils en ont beaucoup. Ils en ont dans la mesure ou cette importance ne creuse pas un violent paradoxe dans nos libertés mutuelles, entre autre de part une dictature du collectif venant refréner, juger, violer nos accents de créativité et de liberté. Je suis un hérétique en ce que je suis un résistant, un désobéissant dans mes élans de créativité. Je n'obéis qu'a ma conscience, à mon intelligence et à mon cœur. Et mon cœur refuse catégoriquement d'utiliser le smartphone, ce parfait outil d'intégration dans l'abnégation en ce qu'il popularise une partie de notre réalité au détriment d'une autre, en ce qu'il est un produit de luxe réclamant des ressources rares provenant de l'esclavage, en ce qu'il rend addict de par sa fonction sociale prédominante et de part son utilisation généralisée.