jeudi 13 juin 2019

Peur de vivre

J'ai 8 ans. Mon petit frère, mes parents et moi même rendons de temps en temps visite à des cousins. Je suis anxieux à chaque fois. A cause du chien. Il est gros, il a le poil sombre, le museau large, ses yeux ne sont que ténèbres indistinctes, envahissantes et reluisantes pupilles affamées se jetant à la gorge du moindre espace visible. Lorsque nous arrivons, je sens qu'il me cherche, approchant à pas feutrés, venant se repaître de ma peur. Complètement captivé par ma chair tremblante et vulnérable, il me fixe goulument et grogne d'excitation dans ma direction. Ses maîtres le rouspétent et tente de me rassurer en l'éloignant. Mais je devine sa présence chaque fois que je m'éloigne un peu trop d'un adulte. Je ne peux rien faire pour améliorer cette situation alors je me fais le plus discret possible, craignant d'être trop prêt de lui. Le fils de la famille, de quinze ans mon ainé, se moque un peu de moi. Il bouscule le clébard, le prend sous son bras et lui enfonce même la main dans la gueule pour me montrer qu'il a le dessus, que le chien est docile. Tu parles. Il vit avec ce chien depuis des années, le dépasse de plus d'un mètre et sait pertinemment qu'il a le dessus. Une infinie distance sépare nos expériences. Il ne peut se rendre compte de cette intime certitude que son chien et moi partagons: mon attitude de proie excite ses instincts de carnassier. Il n'est pas de ses races qu'on peut pousser du pied, de celles qu'on peut cacher dans un sac pour prendre le bus, de celle qui ont éminemment besoin des humains pour les protéger. C'est l'inverse. Il est de celle qui apporte à leur maitre une sécurité supplémentaires, de celles qui peuvent aisément survivre une fois abandonnées, de celles dont les instincts n'ont jamais été amoindris par un rabougrissement génétique. Personne ne le surveille une fois qu'il ne grogne plus. Je suis littéralement tétanisé. Il rôde. Je le sens toujours quelque part, me fixant avec attention. Bien sûr il ne m'attaquera pas, mais, du haut de mes 8 ans, je sais parfaitement que seuls les circonstances l'en empêchent. Aucune analyse d'adulte ne peut supplanter cette intuition profonde: je suis tout ce que ce chien aurait voulu chassé s'il avait quitté le confort domestique et la promiscuité humaine. 

 

Au fur et à mesure que je grandis et que mon rapport aux choses se transforma, parfois ostensiblement, j'observais toujours cette ignorante condescendance de beaucoup d'adulte à l'égard des angoisses du monde. Je la vis prospérer au sein des familles, quand les parents méconnaissaient le soucis de leur enfants et inversement, mais aussi au cœur des couples, quand hommes et femmes se déchirent pour leur vérité, parfois affublant leur ancien compagnon de terribles intentions en concluant que finalement, il ne devaient s'agir que de pervers narcissique. Et finalement,  je la vis faire ses ravages, davantage que nulle part ailleurs,  dans notre irrésistible désir de pouvoir sur l'ensemble du règne animal. Depuis les fondement de nos sociétés et malgré notre historique besoin de justice et d'harmonisation, nous sommes largement restés convaincus que les non humains n'avaient pas conscience de ce qui leur tombait dessus et qu'il pouvaient paître tranquillement. Pour avoir vu, durant une vente de bête, un énorme buffle d'élevage tenter de s'échapper puis s'arrêter net devant un éleveur maigrichon qui lui faisait barrière, je suis certain que chaque animal de zoo, d'élevage ou de laboratoire se soumet par peur, restant tranquillement dans un coin pour ne pas attirer l'attention et ne pas se faire emporter à son tour dans un endroit qu'il ne devine pas. Mais la mort, elle, ils la devinent, ne serait que part l'impuissance éprouvé dans chacun de leurs instincts contrôlés par l'homme. A force, peut être s'y habituent t-ils, peut être même deviennent-ils patients. Pourtant, tous se débattent quand ils comprennent que leur moment est venu. Je ne pense pas que ce soit par un mécanisme très différent de celui de l'humain. L'instinct de survie auquel certains aiment réduire les animaux est tout simplement un désir de vivre, le même que le notre. Tous les animaux aiment la liberté et aucun ne choisirait d'être cloisonné, utilisé, manipulé par une autre espèce, pour finalement mourir entre des murs. L'enfermement est la pire des abominations auquel l'humain se soit habitué, m'est avis.

G
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